Eutrophisation : menace sur les eaux douces et marines en Bretagne (P. Aurousseau - 2015)
Pierre AUROUSSEAU, professeur et président du CSEB (Agrocampus Ouest, centre de Rennes - 35)
L'eutrophisation est une situation anormale de l'environnement et une maladie des pays développés.
En conditions normales, la plupart des milieux sont dits oligotrophes, c'est-à-dire peu alimentés en sels nutritifs appelés aussi nutriments. Pendant la belle saison, on rencontre encore dans la mer bretonne des eaux oligotrophes avec des teneurs en azote de l'ordre de 1 micromole par litre (c'est-à-dire de l'ordre de 0,06 mg/L de nitrate).
Ce sont les panaches des fleuves qui enrichissent les eaux marines côtières en sels nutritifs. Ceci se produit principalement pendant la saison pluvieuse. Mais les teneurs en sels nutritifs des fleuves et des rivières sont telles qu'aujourd'hui, ce sont des quantités massives de nutriments (azotés et phosphorés) qui alimentent la mer bretonne.
L'eutrophisation ne se manifeste pas seulement dans les eaux marines côtières ; elle se manifeste d'abord dans les eaux douces, le long du réseau hydrographique. On parlera d'abord de l'eutrophisation à cyanobactéries qui se produit dans des eaux immobiles de lacs ou d'étangs et dans des eaux très calmes de rivières lentes ou canalisées. On parlera aussi de l'eutrophisation à Jussie qui se produit dans des eaux calmes et lentes et qui constitue un peu les marées vertes des eaux douces.
Au niveau des estuaires et à proximité immédiate de l'embouchure de certains fleuves, ce sont les trop célèbres marées vertes qui s'observent à de faibles niveaux de dilution des eaux douces par les eaux marines (taux de dilution inférieurs à 10).
Dans les panaches des fleuves et un peu plus au large et pour des niveaux de dilution plus élevés (de 10 à 100 pour faire simple), les nutriments sont consommés à la belle saison par des diatomées qui sont des microorganismes chlorophylliens originaux car ils présentent un squelette siliceux. Les diatomées présentent donc l'originalité de nécessiter pour se développer d'un troisième nutriment, la silice en plus des nutriments classiques azotés et phosphorés. Les productions massives de diatomées appelées « blooms » ou « efflorescences » conduisent à l'apparition d'eaux colorées parfois visibles par satellite jusqu'à des dizaines de kilomètres des côtes. On observe souvent, dans les mêmes régions et en fonction de conditions locales particulières, des marées vertes et des phénomènes d'eaux colorées. C'est le cas de la Bretagne et de certaines côtes de Chine.
Les blooms massifs de diatomées peuvent conduire à des hypoxies des eaux marines (eaux pauvres en oxygène), à des anoxies (eaux insuffisamment pourvues en oxygène pour la survie des espèces) et à un épuisement en silice de la colonne d'eau. En dessous de certaines teneurs en silice, les diatomées ne peuvent plus croître et se multiplier. Dans ce cas, des espèces dites opportunistes habituellement dominées par les diatomées vont se multiplier en profitant des nutriments azotés et phosphorés. Parmi ces espèces, plusieurs produisent des toxines diarrhéiques ou des neurotoxines.
L'eutrophisation n'est donc pas seulement un dysfonctionnement environnemental. L'eutrophisation relève d'un ensemble de mécanismes complexes et présente un volet sanitaire très important.
L'eutrophisation est un dysfonctionnement environnemental assez commun à tous les pays développés mais dont la gravité dépend des contextes locaux et régionaux. En Bretagne, l'eutrophisation des eaux et des milieux constitue un défi majeur pour l'avenir de notre région.