2.3 - Les contraintes et difficultés pratiques pour l’évaluation du risque sanitaire dû aux cyanobactéries (L. Brient)
Luc BRIENT (Université de Rennes 1, UMR CNRS "Ecobio") - Les contraintes et difficultés pratiques pour l’évaluation du risque sanitaire dû aux cyanobactéries.
Bien qu’elles soient à l’origine de la vie sur terre, la réelle connaissance des propriétés physiologiques, écologiques et toxiques de certaines espèces de cyanobactéries est très récente. Moins d’une vingtaine de publications internationales relatait leurs conséquences jusqu’en 1990 et suite au décès 50 patients dans un hôpital du Brésil mis en cause par la présence des toxines de cyanobactéries dans les circuits de dialyse en 1996, c’est, en 2014 près de 2000 publications par an qui font état de leurs causes, conséquences et intérêts. Le monde des cyanobactéries est un axe de recherche émergent, sans cesse enrichi dans tous les domaines scientifiques avec beaucoup de questions toujours en suspens.
La gestion du risque sanitaire lié à une efflorescence de cyanobactéries dans un plan d’eau avec activités nautiques ou de baignade est encadrée par des dispositifs réglementaires et de surveillance. Mais dans la pratique, l’évaluation du risque sanitaire n’est pas toujours facile pour les gestionnaires, les laboratoires d’analyses, etc. De nombreuses questions se posent que nous illustrerons au travers de quelques exemples.
Lorsqu’un plan d’eau est confronté à un développement d’une cyanobactérie appelée Merismopedia minutissima. Que doit faire le gestionnaire ? Cette espèce ne fait pas partie de la liste des espèces considérées dans les textes en France, comme productrice d’une cyanotoxine. Toutefois, le gestionnaire est informé par un bureau d’études que cette espèce a été trouvée en Egypte comme productrice de microcystines. S’appuie-t-il sur les documents officiels qui font référence à des synthèses de 2006 ou sur des informations plus récentes ? A qui s’adresser pour savoir si cette espèce est potentiellement toxique en France ?
Les laboratoires d’analyse nous interpellent sur la dénomination des espèces. La classification, appuyée maintenant par la génétique, distingue de nouveaux genres grâce aux techniques de séquençage. Ainsi par exemple, Gomphosphaerium naegeliana est devenue Woronichinia naegeliana et certains documents de taxonomie vont citer l’un ou l’autre ; ces exemples créant une certaine confusion sont nombreux. Quand quelques scientifiques sur le plan international apportent des éléments nouveaux et proposent de modifier le classement des organismes biologiques, voire de les nommer différemment, rien n’oblige l’ensemble de la communauté scientifique à y adhérer. Ces évolutions sont perturbantes pour les personnels des laboratoires d’analyses habitués à une rigueur de rendu d’analyse : quelle information retenir et diffuser auprès des gestionnaires ? Celle de tenir compte de l’évolution des publications ou celle des textes réglementaires ?
Sur le terrain, un des critères entrainant la fermeture des eaux récréatives est la présence d’efflorescences visibles en surface à l’œil nu (écume, mousse). Or, l’absence d’écume ne traduit pas une absence de prolifération de cyanobactéries : certaines espèces ne forment pas de colonies flottantes mais peuvent tout de même proliférer et rester dispersées de façon homogène plus en profondeur dans la colonne d’eau, créant un risque sanitaire équivalent. De plus, la notion « d’efflorescence visible en surface » n’est pas accompagné de paramètre quantitatif (masse, surface). Le risque sanitaire est-il le même quand une efflorescence forme un liseré de quelques centimètres sur la rive ou lorsque l‘efflorescence est visible sur la surface totale du plan d’eau ou dans la zone de baignade ?
A cela s’ajoutent la variabilité dans le temps sur une journée, le décalage éventuel entre l’heure du prélèvement et la période de baignade, le fait que toutes les cyanobactéries ne sont pas productrices de toxines ou par contre, que quelques grammes sont suffisants pour avoir des impacts sanitaires non négligeables. Se posent aussi des questions relatives au comptage des cellules, aux différentes méthodes de contrôle, aux cyanotoxines autres que les microcystines, à la gestion de la pêche dans les plans d’eau régulièrement soumis aux proliférations de cyanobactéries entrainant une bioaccumulation des toxines dans les tissus des poissons et autres organismes aquatiques.
Les connaissances sans cesse nouvelles obligent les différents acteurs (législateurs et scientifiques) à réactualiser l’ensemble des textes de recommandations et de lois sur ces micro-organismes et à être réactif en termes de communication et de formation auprès des gestionnaires. Cela fait 10 ans en France que les cyanobactéries sont analysées dans les plans d’eau et rivières à usages récréatifs ou pour la production d’eau potable, la connaissance des textes de réglementation est acquise par la majorité des gestionnaires mais de nombreuses questions restent encore à résoudre.